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Les femmes potieres de Nguéniène

date. 2007

ville. Nguéniène - Sénégal

Nous avons rencontré les femmes potières pour la première fois en 2005. Avec leurs objets en terre cuite, elles occupent un coin du marché hebdomadaire ayant lieu tous les mercredis à Nguéniène . Essentiellement des choses que tout le monde utilise (canaris, couscoussiers, encensoirs, pots, petits fourneaux pour faire le thé) et aussi des objets décoratifs qu’elles appellent “des meubles” (oiseaux, animaux imaginaires, voitures, avions).

La mayonnaise a pris très vite entre elles et nous. Par la suite, nous sommes allés plusieurs fois les voir. Elles ne sont pas les meilleures potières d’Afrique, mais les énergies qui ont tissé notre relation étaient très spéciales, et empreintes de respect, de dignité, de considération.

Je dois toutefois signaler le fait qu’au départ, suite à l’injonction de certaines personnes, elles se sont un peu méfiées de nous. Elles pensaient que l’on était venu pour voler leur savoir-faire. Nous les avions rassurés en leur faisant savoir que l’on avait appris à faire de la céramique, entre autres disciplines artistiques. Il nous a fallu du temps et après qu’un représentant de leurs maris soit venu visiter notre centre d’art, avant que l’on puisse les faire venir pour l’organisation d’un workshop.

Ce n’est qu’à la fin de 2008 que nous avions eue, grâce à un financement de la fondation espagnole Intervida, l’opportunité d’organiser un véritable workshop avec les femmes potières de Nguéniène, Keur Modi, Keur Madické et Pombaan dans notre hangar-quartier général à Mbodiène. Pendant une semaine nous avons pu travailler en abordant dans le cadre de nos échanges des préoccupations liées à l’écologie, à la chimie, à l’environnement, à l’énergie, à la sociologue de groupe, à l’organisation, au financement, à l’architecture, à la commercialisation d’objets culturels, à l’éducation, à la vie familiale…

Nous mettons à la disposition des femmes potières de la documentation liée à la pratique de la terre, à l’architecture traditionnelle. On invitait aussi un artiste de la ville qui faisait le même métier qu’elles pour créer des opportunités d’échanges et d’enrichissement mutuel. Cheikh Diouf, Akomian et Camara Guèye sont venus partager leur expérience respective.

On a pu installer un four à gaz qui nous permettait d’aller au-delà de 1000 degrés pour une meilleure cuisson des objets en céramique. Un tour avait aussi été construit et mis à leur disposition, mais elles étaient plus à l’aise en travaillant à même le sol, comme elles avaient l’habitude de le faire. A ce jour, ce tour est resté quasiment inutilisé.

 

En 2010, nous avons organisé en partenariat avec l’association française SOFIA, la deuxième rencontre annuelle d’Art et d’Artisanat. Du 07 au 14 mars, les femmes potières de Nguéniène, les teinturières de Joal-Fadiouth, et des plasticiens français et sénégalais (photo, vidéo, peinture) ont travaillé ensemble dans le hangar. Nous y avions associé deux potières mandingues qui venaient du village de Kéréwane en  Casamance avec une autre façon de travailler la terre. Ceci constituait les prémices de la réalisation du rêve que nous avions d’organiser un workshop réunissant des femmes potières de chaque région du Sénégal pour un échange fructueux autour de la pratique de la céramique traditionnelle. 

En 2014 La fondation Doen, nous a accordé un financement de deux ans qui nous a permis de souffler et de travailler en toute quiétude sur différents projets (notamment la finition du bâtiment alternatif et écologique, l’organisation d’un workshop de design mural avec les femmes potières que nous avons initié à la peinture murale en utilisant les motifs traditionnels de leurs objets, ce qu’elles faisaient en petit a été rendu magnifiquement agrandi sur les quarante mètres de mur du nouveau bâtiment. Le thème de l'atelier était : " du petit au grand format ".

L’année suivante, nous avons pu acquérir une presse artisanale confectionnée par un menuisier métallique de Joal et ainsi initier les femmes à la technique de la gravure sur linoléum et sur bois. C’est ainsi qu’est née toute une série de nouveaux produits (gravure sur papier, sur t-shirts, sur des sacs en tissu) issus de l'atelier : "du mur à la gravure" au cours duquel les femmes ont pu aisément être initié à la technique de la gravure. On a aussi pu assister à la naissance d’une nouvelle série de céramique, notamment les poules en grand format décorées à l’acrylique avec une palette plus variée.

 

En 2016 Les femmes potières ont pu montrer leurs produits à la Galerie Nationale à Dakar, à "Gorée Regards sur Cours", au centre Fuenlabrada de Joal lors de la célébration du cinquantenaire de la commune. Elles ont pu obtenir un marché de décoration d’une maison privée à Somone

Un de nos vieux rêves a pu être réalisé dans le cadre du projet "Jën Rekk" en 2018.

En effet, nous avions toujours voulu que le travail graphique des femmes potières soit bien visible sur un bâtiment officiel de la cité largement utilisé par les populations.

C’est devenu une réalité grâce au soutien de la Fondation Doen. Maintenant on peut voir une série de peintures murales sur le thème du poisson admirablement réalisées par les femmes potières de Nguéniène

La relation de confiance, de complicité et de respect, construite dans le temps entre les femmes et Portes et Passages, a grandement facilité la réalisation de nos projets de collaboration avec elles. Un contexte positif rend plus fluide la communication. On peut aisément faire des choses ensemble quand le climat est favorable à l’épanouissement des échanges et du commerce humain.

Ce fut donc un bonheur renouvelé de voir le groupe des potières venir intervenir sur ce mur de la Mairie de Joal-Fadiouth, et y apporter une plus value esthétique que la majorité des habitants de la cité va apprécier à sa juste valeur. Nous n’avons eu aucun souci d’aucune sorte. Le mur fait au moins 100 m, composé de plus de 20 niches individuelles. Chacune des femmes a choisi son espace pour y apposer sa touche. Il restait quelque trois niches sur lesquelles elles ont collectivement travaillé. C’est pendant que l’on était en train de faire ce workshop que la première pluie de la saison est tombée sur nous. C’était un excellent signe pour tout le monde.

Le patrimoine de la commune de Joal-Fadiouth s’est enrichi du travail de ces femmes.

Au niveau du rond point le plus stratégique de Joal-Fadiouth, celui qui mène aux îles du Saloum, nous avons repéré un mur très intéressant pour une œuvre d’art public. Pour ce travail intitulé “Jen wi” nous avons essayé de créer une harmonie d'exécution et une synergie conceptuelle entre Muhsana et moi, les femmes potières, les peintres de pirogues, l’artiste invité sur le prochain projet et les populations. L’idée était de demander à toutes les femmes potières de faire de petits poissons en céramique et de réaliser un grand poisson de 8 m sur un mur. Nous nous sommes donc rendus au village des femmes pour leur parler du projet, ensuite pour venir faire une petite simulation sur le sable pour leur permettre de mieux comprendre notre projet. Nous sommes ensuite allés récupérer tous ces poissons en céramique cuite.


A l’issue de l’éxécution du dessin du poisson sur le mur, nous avons commencé à y coller les petits poissons avec un mélange de sable, de ciment blanc et de colle blanche. Au fur et à mesure que le travail était en train d’être fait, la curiosité et l'intérêt de la population était proportionnelle à la progression de l'œuvre. La démarche de ce travail nous a été inspirée par la technique de la mosaïque alternative et participative que nous avions apprise à Philadelphie en 2004. Notamment la pose de l’enduit en ciment coloré ocre entre les poissons pour les tenir tous ensemble en une seule pièce. Ensuite il fallait bien polir tous les poissons et les éléments collés sur le mur pour que graphiquement le travail soit visuellement riche. Ensuite quelques femmes potières, Aïssatou Wade, Codou Thiam, Oumy Gakou et Ndeye Wade de Nguéniène, sont venues pour créer des peintures autour du grand poisson. Cette phase du travail a vraiment étonné les gens. Les personnes vivant dans des milieux urbains ou semis urbains ont tendance à minimiser les populations qui vivent dans les villages. Donc, que des villageoises viennent pour faire ce très beau travail sur un mur de la commune, c’était étonnant et perturbant pour pleins de gens, aussi bien les hommes que les femmes. Un vieux capitaine des douanes à la retraite n’a pu s’empêcher de s’exclamer un jour “Oh mon dieu, une femme avec un pinceau, ici à Joal, c’est du jamais vu ! “

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